· 

Des normes qui tuent la créativité

Normes et artisans créateurs

Comment des normes coûteuses tuent la créativité

 

Aujourd'hui, je souhaite partager avec vous mon expérience d'artisan créateur, face aux règlementations de conformité des articles pour les enfants - en particulier pour les moins de 3 ans - qui sont très strictes.

 

Lorsqu'on achète un jeu, un jouet ou un vêtement pour son enfant, il est bien normal de s'attendre à ce que le produit ne comporte aucun risque pour l'enfant.

Pour garantir cela, des critères de solidité, toxicité, inflammation etc... ont été établis; puis ont donné lieu à une nécessité de certification de conformité.

C'est la fameuse norme CE que nous pouvons trouver sur les articles du commerce.

 

Mon élan créatif en période de Noël m'a poussée cette année vers le monde de l'enfant. J'ai eu de nombreuses idées de jeux et jouets pleins d'originalité et à la fois éducatifs. Ce domaine m'a beaucoup inspirée et enthousiasmée.

Soucieuse de répondre à cette attente de non-risque pour l'enfant, j'ai fait appel à mon bon sens, mes compétences professionnelles, mon expérience personnelle et mon souci du détail. 

Mais cela n'est pas suffisant. En tant que fabricante, j'ai le devoir de pouvoir prouver le degré de non-danger pour l'enfant. L'obligation de conformité du produit.

J'ai consulté une spécialiste de la conformité des créations textiles pour enfant et j'ai alors découvert tout un monde fort intéressant, tourné vers la protection des enfants; mais qui a eu pour effet immédiat et brutal de bloquer complètement ma créativité.

Tout s'est obscurci; je ne voyais pas d'issue.

Pourquoi?

Pour chaque création en vente et destinée à l'enfant, il est obligatoire de réaliser un dossier technique ultra détaillé dans lequel sont envisagés les risques liés à l'utilisation du produit et les réponses que l'on y apporte (certifications à l'appui). Pour cela, il faut payer des tests réalisés par des spécialistes et recommencer jusqu'à ce que ce soit satisfaisant au regard des normes fixées. 

De plus, le dossier comprend de nombreuses informations très longues à fournir comme la description très détaillée, photos à l'appui, des étapes successives de la confection du produit. On doit prouver aussi - avec photos entre autres - que le produit a été fait dans un lieu propre etc...

C'est lourd. 

Sur le moment, je me suis dis ok: c'est lourd mais quand c'est fait, c'est fait! Je n'ai plus qu'à les produire avec par exemple des variantes de couleurs; ce sera toujours ça. Et bien non!

Car même pour un simple changement de couleur du textile (même fournisseur et qualité) il faut repayer le test de la toxicité de cette teinte et produire un dossier pour chaque changement de coloris.

C'est donc lourd. Très lourd. Et coûteux. Très coûteux. Invendable. Qui offrira à son enfant un cube en tissu à 800€? Ou alors, il faudra rentabiliser ce dossier technique en produisant cet article en série.

Pas en pièce unique et pas en petite série non plus. En série.

Et pourrai-je arriver à vendre 500 cubes d'éveil en tissus? A quelle échéance? Aurai-je les moyens de les stocker? Et même simplement de les produire? Donc devrai-je sous traiter avec un atelier de confection pour rentabiliser le coût des tests et de la réalisation du dossier technique? 

Alors, le joli ciel pétillant de la créativité s'est soudainement assombri.

Je n'étais pas seule à suivre cette conférence et une créatrice a pleuré. La spécialiste des conseils en normes n'y est pour rien. Bien au contraire: je la remercie pour tout ce qu'elle nous a appris et expliqué. Elle n'est pas responsable de la lourdeur des normes et consacre sa vie professionnelle a aider les créateurs à surmonter ces difficultés.

Ma gorge s'est resserrée et j'ai vu littéralement une porte se fermer: Il est donc impensable de créer de la pièce unique ou en mini séries légèrement personnalisées par de petits changements (couleur, taille...) pour les enfants.

Il y a peu d'options:

- L'artisan ne peut pas vendre de produits pour l'enfant en pièces uniques ou mini séries et donc... n'en fait pas. Même s'il en est capable; même s'il a de superbes idées; même si sa clientèle le souhaiterait. 

- L'artisan "s'offre" les tests et mobilise son temps pour réaliser les dossiers techniques de produits qu'il fera en série - quitte à sous traiter -. Mais ce n'est plus de l'artisanat et sa clientèle va se tourner vers les grandes surfaces, si c'est pour acheter des produits en série...

- L'artisan trouve des fournisseurs qui vendent des textiles déjà certifiés spécifiquement aux normes enfant ou petit enfant, qui accepte de vendre en petites quantités et pas par rouleaux de 100 mètres (ces fournisseurs sont très rares); et peut ainsi diminuer le coût des tests. Il doit quand même réaliser le dossier technique et le coût des fournitures certifiées aux normes concernées vendues en petites quantités à un tarif très élevé ne lui permet quand même pas de pratiquer un tarif acceptable (haut de gamme et pas "luxe") sur des pièces uniques ou de petite série.

- L'artisan fait ce qu'il veut, comme il veut en faisant fi des conformités; mais il s'expose à de lourdes conséquences pour lui-même et pour sa clientèle.

 

Pour ma part, j'ai fait le choix de ne pas créer en série, et de ne pas travailler non plus dans l'illégalité.

Je ne vais donc pas créer de produits pour enfant. Pas pour le moment et pas dans ces conditions. 

 

Peut-être qu'un jour "je m'offrirai" le luxe de la conformité d'une de mes créations, si je trouve qu'elle en vaut la chandelle et qu'elle permettrait à ma clientèle de trouver dans cette création un produit qu'elle ne trouverait nulle part ailleurs; quitte à le produire alors en série - ou pas.

Peut-être. Le risque des invendus et les contraintes rendent quand même la chose peu probable.

 

Alors, oui, les normes de conformité protègent les enfants et c'est bien.

Mais cela tue la créativité; et l'artisanat.

Écrire commentaire

Commentaires: 0